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Vaud/article
Les orphelins forcent la Suisse à écrire une page sombre de son histoire.
La terrible enfance des orphelins

   ALINE ANDREY   

Paru le Vendredi 06 Février 2004
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VaudUne étude sur les conditions de placement des orphelins en institution a pris son essor dans le canton de Vaud. Les archives s'ouvrent sur une période mal connue de l'éducation spécialisée, de l'entre-deux-guerres aux années 50.

Après les enlèvements d'enfants Jenisch, le refoulement des réfugiés durant la Seconde Guerre mondiale ou encore les stérilisations forcées, une autre page sombre de l'histoire suisse contemporaine s'ouvre: celle des orphelins. Ainsi, afin d'éclaircir les conditions de placements institutionnels, trois historiens entament une recherche dans le canton de Vaud, sur la base de témoignages d'anciens pensionnaires.
La honte et la culpabilité encore présentes chez beaucoup d'entre eux laissent place aujourd'hui à la parole, à l'instar de Louisette Buchard, pionnière en la matière (lire notre édition du 23 octobre). Depuis des années, cette septuagénaire se bat pour la reconnaissance des sévices endurés par les orphelins placés en institutions. Suite à sa deuxième grève de la faim en octobre dernier à Lausanne, le canton, ainsi que l'OFES (Office fédéral de l'éducation et des sciences) ont décidé d'appuyer la recherche historique entamée au sein de l'EESP (Ecole d'étude sociale et pédagogique), par Geneviève Heller, Cécile Lacharme et Pierre Avvanzino.


ARCHIVES LACUNAIRES

La vingtaine de témoignages récoltés par les chercheurs concerne des placements qui s'échelonnent des années 30 aux années 50, à l'exception d'un jeune homme placé dans les années 80.
L'autorisation pour consulter les archives du Service de protection de la jeunesse (SPJ) vient d'être accordée par le canton. La loi interdit en effet la consultation des données personnelles, la prescription étant fixée à cent ans, sauf autorisation. Une grande partie des dossiers aurait été conservée malgré la destruction partielle de ces archives par manque de place. «Des responsables d'institutions n'ont pas jugé important de garder les dossiers de ces enfants, alors que les conséquences sont lourdes. D'anciens pensionnaires se retrouvent aujourd'hui coupés de leur passé et donc de leur identité et de leur histoire de vie. Quant à l'Etat, pour l'instant, nous ne pouvons pas encore affirmer que des dossiers ont été détruits volontairement. Il faut attendre de pouvoir effectivement avoir accès aux fonds d'archives», explique Pierre Avvanzino.


L'ÉCLAIRAGE DU PASSÉ

«Nous souhaitons comprendre le pourquoi et le comment de leur placement en institution. Une question se pose également: quelle est la responsabilité des autorités? Quelles dérives sont possibles aujourd'hui?», s'interroge Geneviève Heller. Les maltraitances, les abus sexuels, la privation de nourriture, l'enfermement, le fouet, l'absence de soins médicaux, l'interdiction de parler aux gens du village, le silence à table et dans les dortoirs sont autant de violences énoncées par les personnes à l'enfance blessée prenant aujourd'hui la parole.
Les chercheurs sont pourtant conscients qu'ils ne peuvent occulter les conditions générales de l'époque. Durant l'entre-deux-guerres et jusque dans les années 50, le manque de nourriture et de vêtements était général. Comment alors éclairer le présent grâce au passé, tout en tenant compte des conditions différentes de vie? «Le plus jeune à avoir témoigné a 28 ans. Les droits de base dans les années 80 étaient garantis comme la scolarisation, les soins médicaux et la nourriture. Cependant, les mauvais traitements psychologiques persistent. Car ce jeune homme semble avoir le même déficit affectif que des personnes placées il y a plus de 50 ans. Les sentiments de rejet et de culpabilité persistent. Les souffrances liées au ballottement d'une institution ou d'une famille d'accueil à l'autre, les mauvais traitements psychologiques et la marginalisation sont les mêmes», indique Cécile Lacharme.
La complexité de la recherche, les archives lacunaires et classées par numéro de dossiers et non pas par ordre alphabétique, la brièveté des délais (la recherche doit se terminer en septembre prochain) risquent de mettre les chercheurs à rude épreuve. Ceux-ci espèrent donc que leur travail permettra d'en initier d'autres au niveau national, car les témoignages affluent aujourd'hui du pays entier.
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UNE AIDE DE BERNE ACQUISE DE LONGUE LUTTE

Le 17 juin 1999, une motion du conseiller national Jean-Charles Simon (pdc/VD) demandait au Conseil fédéral de se pencher sur les conditions de vie des orphelins suisses des années 30 aux années 70. En juin 2003, la motion transformée entre-temps en postulat est tout simplement classée. Le conseiller national Didier Berberat (ps/NE) prend la relève au mois de septembre 2003. Le Conseil fédéral lui répond, en novembre, que le problème des orphelins incombe aux cantons et aux communes. La Confédération finira tout de même par attribuer 100 000 francs à l'aide à la recherche historique mise en place dans le canton de Vaud, dont la subvention se monte à 25 000 francs (sans compter les 25 000 francs de l'Ecole d'études sociales et pédagogiques). Dans sa question déposée le 19 décembre 2003, Didier Berberat demande si ce financement correspond à un changement bienvenu de la Confédération et si, le cas échéant, une étude à l'échelle nationale sera envisagée. «Enfin, quelle réflexion le Conseil fédéral envisage-t-il pour assurer qu'à l'avenir, les mauvais traitements relevés dans le passé ne se répètent pas?», demande le texte déposé. On attend toujours les réponses... Aay
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«J'AI PARDONNÉ GRÂCE À DIEU ET À LA MUSIQUE»

«La majorité des orphelins développe une révolte et de l'agressivité, suite aux mauvais traitements endurés. Paradoxalement, c'est peut-être cette énergie qui leur permet de s'en sortir», explique Pierre-Alain Savary, 47 ans. Les 33 points de suture à sa main ne sont que la pointe de l'iceberg des souffrances endurées. Invisibles quant à eux, les souvenirs défilent, parfois heureux, mais douloureux pour la plupart, comme celui de la mort d'un de ses camarades. «(...) Un de mes copains a été défenestré du 4e étage (...). L'enfant avait été surpris en train de chercher à manger», raconte Pierre-Alain Savary dans son autobiographie «Hymne à l'amour d'un misogyne passionné»1. Quelques années après, il est livré à un paysan, puis à un second, sans raison avouée: «J'étais peut-être trop renfermé, je me réfugiais dans un mutisme que je qualifierais d'onirique. Les arbres étaient mes seuls amis», raconte-t-il. A la ferme, l'enfant représente une main-d'oeuvre gratuite, il travaille aux champs du matin au soir.
A 11 ans, il est finalement placé à l'Ecole Pestalozzi d'Echichens. «Nous devions porter des badges de couleur, noir, bleu ou vert, selon nos bonnes conduites. La maltraitance psychologique était insupportable. Nous vivions dans la peur et aucune solidarité ne pouvait naître d'une telle situation.» Pierre-Alain Savary réussira toutefois à devenir médecin et musicien. «Malgré mes excellentes formations, mes relations avec les autres ont toujours été compromises», avoue-t-il, «mais Dieu et la musique m'ont sauvé et m'ont permis de pardonner, même à ma mère.»
AAy
1 www.monhistoire.ch _______________


«L'ETAT RESTE COMPLICE DE CE QUI S'EST PASSÉ...»

Le seul mal que j'ai fait, c'est d'avoir perdu mon père et ma mère», raconte André Emery, 70 ans. Après avoir été trimballé dans sept familles d'accueil successives, il est accueilli vers l'âge de 5 ans à l'orphelinat de Burtigny (au-dessus de Gland). «Lorsque le tuteur général venait nous rendre visite, nous disions que tout allait bien, sinon la direction nous le faisait payer cher. Les parents – pour ceux qui existaient encore – ne savaient rien non plus, pour la même raison».
Le travail dans les champs était quotidien, du matin au soir, à l'exception de quelques heures d'école. La devise dans l'institution selon André Emery: «Qui aime bien châtie bien». «L'institution était tenue par des protestants, des gens très pieux. Certains nous battaient pour leur plaisir, pour un oui ou pour un non.»
Ces quelques souvenirs retracés, André Emery préfère rapidement ouvrir le débat. Pour lui, la recherche actuelle entamée par trois historiens vaudois sur les maltraitances institutionnelles ne mènera à rien, même s'il a accepté de témoigner. «C'est une illusion de croire que l'on va enfin être écoutés à Berne, alors que l'Etat est non seulement responsable mais complice de ce qui a pu se passer et de ce qui se passe peut-être encore aujourd'hui dans certains orphelinats ou même dans certains EMS», explique-t-il. André Emery n'aime pas ressasser le passé même si le traumatisme est toujours vivant. «Pratiquement tous les anciens pensionnaires que je connais ont fait des tentatives de suicide. Moi-même j'en ai fait deux et suis enco-re actuellement sous antidépresseurs. Je ne pardonnerai jamais.» AAy
article
Une trop longue histoire...


   AAy   
Au Moyen Age, la charité faisait office d'assurance sociale. C'est seulement au XVIe siècle que les premières institutions apparaissent. Les orphelins sont recueillis tout comme les indigents, handicapés, vieillards, délinquants ou fous. Ces hôpitaux généraux appliquent un seul traitement pour tous. «A cette époque, le travail était à la base de toutes les vertus. Il permettait d'élever l'âme et de racheter ses péchés», explique Pierre Avvanzino, historien. C'est aussi un gage de nourriture. Au XIXe, les interventions se précisent. Les pensées pédagogiques comme celles de Pestalozzi et de Fellenberg naissent à ce moment-là sans pour autant entrer dans les milieux institutionnels. Au début du XXe siècle, les maisons pour enfants sont tenues essentiellement par des philanthropes issus des milieux académiques par souci de leur venir en aide mais aussi par crainte de la montée du socialisme, la pauvreté étant le ferment d'une possible révolte. C'est pourquoi les enfants y apprennent surtout la soumission et l'obéissance. La pédagogie est de type asilaire. Les garçons sont formés pour devenir palefreniers ou ouvriers peu qualifiés, alors que les travaux d'entretien et à l'aiguille sont réservés aux filles. Les institutions ou bagnes d'enfants sont dénoncés dès le début du siècle un peu partout en Europe. Mais il faut attendre les années 50 pour que germe une véritable pédagogie qui prendra son essor dans les années 70 avec l'émergence de nouveaux métiers comme les éducateurs spécialisés et l'évolution de la psychopédagogie et de la pédiatrie. L'Ecole Pahud, aujourd'hui devenu l'EESP (l'Ecole d'étude sociale et pédagogique), a été ainsi la première école du genre en Suisse romande, il y a 50 ans. AAy



 
   
   
 
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